Chaumont et merveilles du jazz ! 

J’ai eu l’occasion de me rendre pour le compte de L’affranchi à l‘«Estival Jazz» organisé par l’association Trebim Music, créée par Diego Imbert. Au programme : quatre jours de concerts, des artistes d’exception, des «jam sessions» et autres «apéros jazz»  permettant à tout un chacun de découvrir et d’apprécier la musique et la culture jazz.

C’est dès l’entrée du Nouveau Relax que l’on fait sa première rencontre avec le jazz. Avant le concert, des notes de saxophone résonnent déjà dans le hall. Autour du bar, quelques habitués et bénévoles discutent de l’intérêt des bières artisanales comparées aux bières industrielles. On n’est pas dépaysé par rapport à l’ambiance des concerts de rock dans lesquels on a davantage l’habitude d’aller…

On comprend pourquoi Sophie Alour a eu une Victoire du jazz en 2022

Sophie Alour Trio

En ouverture du festival, le vendredi soir : Sophie Alour Trio, formation composée de Paul Colomb au violoncelle, Pierre Perchaud à la guitare, et Sophie Alour au saxophone. On regrette que la salle ne soit pas pleine pour entendre un projet aussi ambitieux qu’original. En écoutant les morceaux issus de ses deux derniers enregistrements «Enjoy» et «Joy» (2021, 2020) et de son futur disque à venir en octobre «Le Temps Virtuose» (lequel verra s’ajouter au trio Anne Macéo à la batterie), on comprend pourquoi Sophie Alour a eu une Victoire du jazz en 2022 pour la catégorie «artiste instrumentale». Le jeu porté par le trio est ancré dans le sol, solide,  d’une puissance solennelle, tout en exprimant des phrases aériennes, légères, qui raviront les oreilles averties et non averties, et feront naître une pléthore d’émotions. Les inspirations tantôt du côté de la musique irlandaise, tantôt du Moyen-Orient ou de l’Ukraine, proposent un voyage intéressant. Le travail du son, notamment avec l’ajout d’effets de delay, permet d’ajouter une vraie touche de modernité au jeu de guitare de Pierre Perchaud, qui dépoussière la représentation que l’on pourrait avoir du jazz.

Le samedi soir, où il y a plus de monde que la veille, Jeanne Michard, jeune saxophoniste ténor (30 ans), se met avec autorité au service d’une musique latino aux mesures complexes et rythmes très dansants. Avec sa formation (piano, basse, batterie, percussions, chant), elle séduit le public en réconciliant Cuba et les Amériques. Après le concert, elle s’invite à la jam session et rappelle aux puristes du jazz qu’elle connaît aussi ses standards sur le bout des doigts. Elle y fait d’ailleurs preuve d’une très belle inventivité.

La joie de jouer et de partager de Biréli Lagrène

Dimanche soir, point culminant du festival. Sur scène, Biréli Lagrène - qui a joué avec de «petits» artistes comme Stéphane Grapelli ou Jaco Pastorius - est accompagné de Raphaël Pannier à la batterie et de Diego Imbert à la contrebasse. Cette fois-ci la salle est pleine, et il faut venir au moins une heure à l’avance pour espérer avoir une bonne place.

Il est compliqué de résumer ce concert en quelques mots. Outre une maîtrise évidente de leur instrument respectif (c’est la première fois qu’on voit un batteur faire un solo de batterie sans baguettes !), c’est par une écoute bienveillante et une très belle entente que les musiciens conquièrent le public en enchaînant chorus endiablés et moments d’improvisation étonnants. Le côté «musique savante» qu’on attribue généralement au jazz peut rebuter, mais cette idée reçue selon laquelle «il faut avoir une oreille éduquée pour bien écouter du jazz» est balayée par la joie de jouer et de partager de Biréli Lagrène qui ne manque pas de plaisanter avec le public entre deux morceaux. Au diable la théorie musicale ! Ce dont on a besoin pour apprécier le jazz,  ce sont des oreilles et des émotions, rien d’autre. Pendant la soirée, on entend d’ailleurs souvent plusieurs personnes s’exclamer «bien !» ou «ouais !» pendant les solos de chacun. Véritable moment cathartique ! Tout le public est conquis et le trio revient pour un rappel. À la sortie du théâtre, on peut entendre certains enchérir : «il est d’une autre planète lui !» en parlant notamment du batteur, Raphaël Pannier.

«J’ai joué avec  beaucoup de guitaristes formidables au cours de ma carrière, comme John Scofield, John Abercrombie mais j’ai gardé Manu Codjia»

Lundi 1er mai, pour ce dernier jour de festival, le concert commence plus tôt (18 h 30) et fait encore salle comble. Sur scène, Henri Texier Trio... qui n’est plus un trio depuis que Manu Codjia a été invité au dernier moment. Ce qui est devenu un quartet se compose donc d’Henri Texier à la contrebasse, Gautier Garrigue à la batterie, Sébastien Texier au saxophone et Manu Codjia à la guitare. Musicien local et véritable star acclamée par le public, Manu Codjia fait également l’objet d’un commentaire plus qu’élogieux à la fin du concert, prononcé par Henri Texier lui-même : «J’ai joué avec beaucoup de guitaristes formidables au cours de ma carrière, comme John Scofield, John Abercrombie (…) mais j’ai gardé Manu Codjia. (…).» De quoi poser les bases !

La formation propose des morceaux issus du dernier album de Texier baptisé «Heteroklite Lockdown» (paru en 2022 sur Label Bleu) mais aussi des compositions plus anciennes dont certaines ont notamment été écrites pour le film «Holly Lola», réalisé par Bertrand Tavernier en 2004. Le style de jazz proposé s’approche du blues, voire carrément du blues-rock sur certains passages, ce qui par ailleurs le rend très accessible et ne manque pas d’enthousiasmer le public.

Une chance pour Chaumont

Ce qui marque aussi dans ces concerts, c’est la proximité avec le public que peuvent avoir Sophie Alour, Biréli Lagrène, ou Henri Texier, en dialoguant et en ne manquant pas de plaisanter au micro. On a plus l’impression de voir un groupe de musique appréciant le fait de jouer ensemble et de partager sa  passion du jazz et de la musique plutôt qu’une réelle performance de spectacle comme on peut le voir avec des groupes de rock ou de pop qui au final se contentent de présenter un travail. Ici c’est sans fioritures,  sans glorification de l’artiste. La scénographie le rappelle d’ailleurs : seulement quelques projecteurs colorés sont accrochés au dessus de la scène et des rideaux noirs sont tirés. Simple, basique. Ici on joue pour présenter un projet certes, mais surtout pour l’amour du jazz et de la musique, et c’est ce qui rend ces concerts mémorables : le sentiment d’un réel partage entre les musiciens, et entre les musiciens et le public, sans barrière.

L’Estival Jazz, c’est donc une programmation pointue, mais accessible, un réel moment de vie, de vivre ensemble et de découverte artistique. Loin de l’image d’une musique qui serait difficile à appréhender et réservée à une élite ayant une oreille éduquée. Durant tout ce week-end, environ 700 personnes en ont profité. 

Une amie résidant à Paris et découvrant le festival m’a confié ce week-end qu’il était incroyable pour une ville comme Chaumont, d’avoir accès à des concerts d’une aussi grande qualité et pour des prix aussi peu élevés. Eh oui !

Par Léo Poirson. 

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